Le paysage de la certification professionnelle française de la rentrée 2025 offre un paradoxe saisissant. D'un côté, les portes d'accès au statut de certificateur semblent plus ouvertes que jamais, avec un nombre record de nouveaux acteurs entrant dans l'arène. De l'autre, l'environnement réglementaire, profondément remodelé par le récent Décret 2025-500, érige des standards de qualité et de responsabilité plus élevés. Cette analyse se propose de disséquer ce double mouvement : une "démocratisation contrôlée" qui vise à encourager l'innovation tout en augmentant la qualité générale des certifications.
Au-delà de la présentation des chiffres issus de la commission de France Compétences du 23 septembre 2025, ce baromètre analysera les changements structurels profonds qui sont à l'œuvre. L'analyse se déploiera selon trois dimensions clés : l'évolution des certifications elles-mêmes (par exemple, la dynamique entre le Répertoire National des Certifications Professionnelles - RNCP - et le Répertoire Spécifique - RS, ainsi que le rapport entre créations et renouvellements), le profil changeant des certificateurs, et enfin les domaines de certification dominants. Chaque tendance sera mise en perspective avec le nouveau paradigme réglementaire pour en extraire des clés de lecture stratégiques.

La commission du 23 septembre 2025 a approuvé 155 nouvelles certifications sur demande, soit une baisse de 7 % par rapport aux 167 enregistrements de la session comparable du 1er octobre 2024. Ce chiffre, pris isolément, pourrait suggérer un refroidissement. Cependant, la perspective annuelle dresse un tout autre portrait : avec 808 certifications enregistrées depuis janvier, le marché affiche une croissance soutenue de 11 % par rapport aux 731 enregistrements sur la même période en 2024.
Cette apparente contradiction s'explique par un facteur conjoncturel. En 2024, le laps de temps entre la commission de juillet et celle de début octobre était plus important, ce qui a mécaniquement entraîné une accumulation de dossiers à traiter et a gonflé artificiellement les chiffres de cette session. La légère baisse observée en septembre 2025, qui fait d'ailleurs suite à un recul similaire de 13 % en juillet, n'est donc pas le signe d'un déclin mais peut-être celui d'un retour à un rythme d'approbation plus régulier ?
Le marché entre dans une nouvelle phase de maturité ; l'effervescence post-réforme de 2018 se stabilise, laissant peut-être place à une croissance plus qualitative.

La tendance la plus significative de 2025 est sans conteste la montée en puissance du RNCP. Depuis le début de l'année, le nombre de titres RNCP approuvés a bondi de 23 % (501 contre 406), alors que les certifications du RS connaissent, pour la première fois de l'année, une légère baisse de 6 % (307 contre 325). En conséquence, le RNCP représente désormais 62 % de tous les dossiers acceptés sur demande, contre 56 % à la même période l'an dernier.
Est-ce une volonté de France Compétences ou bien le reflet du marché de la formation professionnelle aujourd’hui, plus orientée vers l’apprentissage de métiers que vers celui des compétences ? Pour pouvoir répondre à cette question, il faudrait comparer le nombre de dossiers RNCP et RS déposés. Partons du principe que les taux d’acceptation de cette année sont les mêmes que ceux de 2024 présentés dans le dernier rapport d’activité de France Compétences, à savoir 66,8% pour les dossiers RNCP et 39,3% pour le RS. Cela voudrait dire que 750 dossiers RNCP et 781 RS ont été déposés.
Il semblerait donc que France Compétences priorise les certifications qui démontrent un lien clair et mesurable avec l'insertion et la progression professionnelle, ce qui est l'essence même du RNCP. La barre est implicitement relevée pour les projets RS, qui doivent désormais justifier d'une valeur ajoutée et d'un besoin marché encore plus probants. Est-ce que l’ajout de l’analyse de cohortes dans les dossiers RS apporté par la réforme 2025-500 va changer la donne ?
La dynamique de croissance est principalement tirée par l'arrivée de nouvelles certifications. Le nombre de "dépôts initiaux" a en effet crû de 20 % depuis le début de l'année (272 contre 226), une progression bien supérieure à celle du marché global.
Nous pensons que cette effervescence va perdurer avec les dernières réformes. Le décret 2025-500, applicable depuis le 1er octobre 2025, contient une mesure phare : la possibilité de soumettre une première demande d'enregistrement en se basant sur les données d'une seule promotion de certifiés, contre deux auparavant.
L'État et France Compétences orchestrent ainsi une "ouverture contrôlée" du marché. Ils abaissent la barrière à l'entrée sur le plan procédural pour attirer des acteurs innovants, tout en rehaussant simultanément les exigences sur le fond. Le même décret instaure en effet des contrôles plus stricts sur la véracité des données, des mécanismes anti-plagiat et des sanctions en cas de communication trompeuse. Le message est clair : le marché est ouvert aux projets sérieux, mais la porte se ferme pour les acteurs opportunistes ou peu qualitatifs.
Les renouvellements ne sont pas en reste : + 6% en 2025 pour l’instant avec 535 dossiers acceptés contre 505 en 2024 à la même époque mais ils sont loin d’être automatiques. Comme en témoignent les chiffres de septembre 2025 quand on les compare à la même époque l’année dernière : seulement 93% dossiers de renouvellements sont passés, il y en avait 116 l’année dernière (-20%).
Un autre indicateur de la maturité du système est l'allongement de la durée de validité des certifications. En 2025, la durée moyenne accordée est de 3,7 ans, en hausse de 11 % par rapport aux 3,3 ans de 2024. Cela représente quatre mois de stabilité supplémentaires pour les certificateurs. Fait notable, cette augmentation intervient alors même que la part des dépôts initiaux, qui pourraient logiquement recevoir des durées plus courtes, est en hausse.
La durée d'enregistrement est devenue un puissant levier de régulation et d'incitation. Une durée longue (4 ou 5 ans) est un signal de confiance fort de la part de France Compétences envers la qualité, la robustesse et la pertinence économique du projet. En octroyant des durées intéressantes même à de nouveaux entrants méritants, l'instance de régulation démontre que l'excellence est récompensée dès le départ.
Cela renforce l'idée que le système évolue vers une méritocratie, où la qualité prime sur la simple maîtrise des procédures administratives. Le décret renforce d'ailleurs cette logique pour les métiers émergents, pour lesquels la durée d'enregistrement est désormais fixée "pour 3 ans" et non plus "pour un maximum de 3 ans", garantissant ainsi une visibilité essentielle aux innovateurs.

En 2025, 585 organismes certificateurs différents ont obtenu au moins un enregistrement, soit une augmentation de 15 % par rapport aux 510 de 2024. Dans le même temps, le nombre moyen de certifications obtenues par chaque acteur est resté stable.
Ces chiffres démontrent que la croissance du marché n'est pas une croissance "intensive", portée par les grands acteurs historiques qui accumuleraient davantage de titres. Il s'agit d'une croissance "extensive", alimentée par l'arrivée de nouveaux entrants. Cette diversification de l'écosystème est un signe de vitalité, favorisant la concurrence et l'émergence de nouvelles approches pédagogiques.
L'indicateur le plus spectaculaire de cette démocratisation est la forte hausse du nombre d'organismes obtenant leur toute première certification. Avec 232 "primo-accédants" en 2025, contre 188 en 2024, ce groupe affiche une croissance de 23 %, soit le double du rythme de croissance global du marché.
C'est la preuve la plus tangible du succès de la politique d'ouverture. La combinaison d'une procédure d'entrée simplifiée et d'un signal clair de la part du régulateur porte ses fruits. C'est une invitation directe aux centaines d'organismes de formation d'excellence qui, jusqu'à présent, pouvaient être intimidés par la complexité perçue du système. Cet afflux va inévitablement remodeler le paysage concurrentiel, obligeant les acteurs établis à innover pour maintenir leur position face à des nouveaux venus plus agiles et spécialisés. Au final, c'est l'ensemble du marché qui est tiré vers le haut, au bénéfice premier de l'apprenant.

L'analyse des acteurs les plus performants du mois offre un instantané des compétences et des secteurs les plus dynamiques. Le podium de septembre est particulièrement révélateur de la diversité du marché :
Quand on regarde sur toute l’année 2025, ce sont plutôt les branches et les acteurs publics qui dominent puisque le 1er acteur privé de l’année est le groupe AD Education qui a déjà obtenu 10 certifications cette année. Devant lui, se placent donc 4 acteurs publics ou para-publics : l’UIMM (25 nouvelles certifications en 2025), CMA France (15), l’INRS (11) et OC sport (10).

La répartition macroéconomique des certifications reste remarquablement constante. Les deux grands domaines, "Services" et "Production", représentent à eux seuls 93 % de tous les enregistrements de 2025. Le domaine des services continue même de creuser l'écart, étant désormais concerné par deux tiers des certifications.
La faible représentation des domaines dits "disciplinaires" (mathématiques, physique, etc.) s'explique par le fait que ces compétences sont majoritairement couvertes par des diplômes nationaux enregistrés "de droit", qui ne passent donc pas par la commission des enregistrements sur demande.
À un niveau de granularité plus fin, le trio de tête des spécialités reste inchangé par rapport à 2024, et dans le même ordre : 1) Communication et information, 2) Échanges et gestion, et 3) Services aux personnes. Cette stabilité démontre que les besoins fondamentaux du marché du travail sont pérennes. Pour les certificateurs, le défi n'est pas tant d'identifier le besoin que de se différencier par la qualité de l'ingénierie pédagogique et la pertinence de la réponse apportée.
Fait notable et inédit, le code NSF 326 (Informatique, systèmes d’information et de communication, traitement de l’information et des données) n'a pas été le plus représenté lors de la commission de septembre. Il a été temporairement détrôné par les spécialités "Échanges et gestion".
Il convient toutefois de ne pas surinterpréter cette donnée mensuelle. Sur l'ensemble de l'année 2025, comme en 2024, le NSF 326 reste le leader incontesté. Cette fluctuation est probablement une anomalie statistique. Néanmoins, elle peut servir d'indicateur avancé : le marché des certifications tech génériques ("Développeur web", par exemple) pourrait approcher un point de saturation. L'avenir réside sans doute dans des niches plus spécialisées, comme les certifications en IA de Classe Digitale, ou dans des qualifications hybrides qui marient compétences techniques et vision métier (relevant alors des "Échanges et gestion").
Le baromètre de septembre 2025 dresse le portrait d'un écosystème de la certification en pleine transformation, sous l'impulsion d'une stratégie étatique claire. L'ère de l'opportunisme administratif se referme pour laisser place à une démocratisation contrôlée. Le marché s'ouvre à de nouveaux acteurs, à condition qu'ils satisfassent à un niveau d'exigence rehaussé en matière de qualité, de preuve et de transparence, tel que défini par le Décret 2025-500.
Dans ce nouvel environnement, le succès ne dépendra plus de la capacité à naviguer dans les méandres administratifs, mais bien de l'excellence pédagogique et d'un alignement stratégique avec les besoins réels de l'économie. Les nouvelles réglementations, bien que plus exigeantes, remplissent une mission essentielle : rétablir une forme d'équité et garantir que la certification professionnelle soit véritablement le sceau des meilleurs acteurs de l'écosystème de la formation.
La mise en place de ces stratégies est un défi complexe mais essentiel. Pour les organismes de formation qui souhaitent transformer cette nouvelle exigence réglementaire en un véritable levier de croissance, un diagnostic approfondi de leur positionnement et de la qualité de leurs dossiers est souvent le point de départ le plus pertinent.